
Entre instabilité politique et ambitions technologiques, la France est à un tournant.
Depuis quelques années, la France s’était donnée un surnom ambitieux : la Startup Nation. Une vision portée par la volonté de faire du pays un leader de l’innovation, capable d’attirer les talents, de créer des licornes, et de peser dans la course mondiale aux technologies du futur.
Mais en 2025, alors que la scène politique traverse une nouvelle crise, et que les remaniements ministériels s’enchaînent, une question revient avec insistance :
👉 Quel avenir pour la Startup Nation ?
Une vision technologique freinée par l’instabilité politique
La Startup Nation reposait sur un pari audacieux : celui d’une France agile, numérique, capable de se transformer pour s’adapter aux défis du XXIe siècle.
Les signaux initiaux étaient encourageants : explosion des levées de fonds entre 2020 et 2022, mise en place d’un cadre fiscal favorable aux jeunes entreprises, dynamisme des hubs comme Station F à Paris ou Euratechnologies à Lille.
Mais ce souffle a été progressivement ralenti par une réalité pesante :
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une instabilité politique chronique ;
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des stratégies industrielles inachevées ;
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une incapacité à créer une continuité d’action publique, indispensable pour développer des filières de long terme.
En 2025 : un énième gouvernement en transition
La chute du gouvernement début 2025 a ravivé les critiques : encore un remaniement, encore une feuille de route effacée, encore une absence de cap structurant pour l’économie numérique.
Dans ce contexte, même les annonces fortes — comme le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle organisé à Paris en février — peinent à rassurer.
Ce qui devait être une vitrine de la puissance technologique française risque de n’être qu’un feu de paille.
La Startup Nation face au décalage mondial
Pendant que la France hésite, le reste du monde accélère. L’innovation ne s’arrête pas, les investissements massifs continuent, et les rapports de force évoluent vite.
Les États-Unis : l’innovation comme priorité stratégique
Aux États-Unis, l’intelligence artificielle est désormais traitée comme une question de souveraineté nationale.
Des plans d’investissement colossaux (CHIPS Act, AI Executive Order), des liens étroits entre l’État fédéral et les Big Tech, une dynamique constante de rachat, de partenariat, d’expérimentation.
Là-bas, l’innovation n’est pas un supplément d’âme. C’est une priorité économique, militaire et diplomatique.
La Chine : planification à long terme
En Chine, les grandes orientations technologiques sont intégrées aux plans quinquennaux. L’innovation est pensée sur 20 ou 30 ans, et adossée à des stratégies industrielles claires : batteries, réseaux, cloud souverain, semi-conducteurs, intelligence artificielle.
Pendant ce temps, en France, on débat encore de la légitimité de soutenir les startups avec des fonds publics. Le décalage est saisissant.
Un potentiel toujours présent… mais sous-exploité
Malgré ce constat, la France n’a pas perdu la course. Elle dispose toujours de solides atouts, à condition de les activer de manière cohérente.
Des talents, des idées, un tissu entrepreneurial dynamique
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La France forme chaque année des milliers d’ingénieurs, développeurs, chercheurs et designers.
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Le tissu des startups reste dense, avec des réussites dans la fintech, la greentech, la santé ou encore l’IA générative.
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L’écosystème de la French Tech reste reconnu à l’international, avec des levées de fonds régulières, même dans un contexte plus tendu.
Une force de frappe scientifique et académique
Nos centres de recherche publics, nos universités et grandes écoles produisent chaque année des travaux de pointe. L’INRIA, le CNRS, le CEA, l’INSERM sont des références mondiales dans leurs domaines.
Mais cette excellence scientifique reste trop souvent dissociée du monde entrepreneurial. Les passerelles entre la recherche et la création de valeur sont insuffisamment développées.
Refuser l’idéologie de l’attente
Le danger, aujourd’hui, serait de tomber dans le piège de l’attentisme.
Celui qui consiste à dire : “On verra après la prochaine élection.”
Ou : “C’est à l’État d’agir.”
Mais l’innovation ne peut pas être suspendue au bon vouloir politique. Elle doit devenir un mouvement autonome, structuré, collectif.
L’innovation n’est pas un luxe
La transformation numérique, la souveraineté technologique, l’adaptation aux nouveaux usages : ce ne sont pas des options.
Ce sont des nécessités. Pour l’économie, pour l’emploi, pour notre position dans le monde.
L’Europe comme levier, pas comme excuse
Il ne s’agit pas de rejeter le cadre européen.
Mais de le rendre moteur, en initiant des politiques coordonnées, en pesant sur les régulations, et en se donnant les moyens de créer nos propres champions.
Des pistes concrètes pour relancer la dynamique
Face au constat d’un essoufflement, des solutions existent. Elles nécessitent de sortir de la logique des effets d’annonce pour entrer dans une stratégie d’exécution à long terme.
1. Mettre en place un gouvernement technique dédié à l’innovation
Et si, à côté du gouvernement politique, la France se dotait d’un executif dédié à l’innovation, la transition numérique et la souveraineté technologique ?
Un comité composé de scientifiques, d’entrepreneurs, d’économistes, et non de profils politiques.
Sa mission :
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planifier les investissements stratégiques sur 10 ans ;
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coordonner les filières industrielles du numérique ;
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définir des priorités claires : IA, cybersécurité, cloud souverain, robotique, santé numérique.
2. Flécher 20 % des investissements publics vers des solutions européennes
Aujourd’hui, une grande partie des dépenses IT des administrations publiques alimente des groupes extra-européens.
Il est temps de créer un fléchage clair : au moins 20 % des budgets numériques publics doivent être orientés vers des acteurs français ou européens.
Ce n’est pas du repli.
C’est du développement stratégique.
Cela donnerait aux startups locales de la visibilité, de la traction et de la crédibilité.
3. Renforcer les passerelles entre recherche publique et entrepreneuriat
Créer un brevet, publier une étude, déposer un algorithme… ce n’est qu’un début.
Encore faut-il que ces travaux puissent se transformer en produits, services, entreprises.
Cela passe par :
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des incitations à la spin-off académique ;
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des fonds de transfert technologique ;
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des incubateurs spécialisés dans les deeptechs.
Une Startup Nation sans État ?
La question peut sembler provocante.
Mais si l’État ne peut pas (ou plus) garantir la continuité, alors l’écosystème doit s’organiser sans lui.
Des collectifs d’entrepreneurs, des think tanks, des syndicats professionnels peuvent devenir des forces de proposition structurantes.
Des fonds d’investissement souverains, indépendants des alternances politiques, doivent piloter l’effort de long terme.
L’innovation ne peut pas dépendre d’un calendrier électoral.
Elle doit être pilotée par une culture de la construction, de la durée, de la responsabilité.
Conclusion : construire au lieu d’attendre
L’avenir de la Startup Nation ne dépend plus des discours. Il dépend de ceux qui construisent.
Les entrepreneurs, les développeurs, les chercheurs, les investisseurs : ce sont eux qui, par leurs actes, peuvent redonner une colonne vertébrale à ce pays.
Ce n’est pas à la politique de donner du sens à l’innovation.
C’est à l’innovation de montrer que le sens existe déjà.
Nous avons les talents.
Nous avons les idées.
Nous avons les moyens.
Ce qu’il reste à conquérir, c’est le droit d’agir. Et ce droit, il ne se mendie pas.
Il se prend, un projet après l’autre, un engagement après l’autre.

