Une institution du cannelé bordelais mise en cause
Baillardran, entreprise bordelaise emblématique et mondialement reconnue pour ses cannelés, s’attire aujourd’hui les foudres de la justice et de l’opinion publique. Fondée en 1988, l’enseigne familiale s’était imposée comme un modèle de réussite, notamment grâce à son image haut de gamme et ses produits de qualité supérieure. C’est l’une des plus grandes entreprises de Bordeaux. Mais derrière cette façade de luxe, des pratiques commerciales et de gestion se révèlent profondément trompeuses et préoccupantes.
En janvier 2025, le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné Baillardran à une amende de 100 000 € pour pratiques commerciales trompeuses, après une enquête menée par la Direction de la protection des populations (DDPP) et une longue série de révélations qui ternissent son image de marque.
Les tromperies sur la fraîcheur des cannelés
L’affaire a éclaté en mai 2023, lorsque la DDPP a mené un contrôle dans les installations de Baillardran. Ce contrôle a révélé que l’enseigne avait recours à des pratiques peu scrupuleuses concernant la fraîcheur de ses produits. La direction admet que des cannelés, ainsi que d’autres pâtisseries, étaient souvent congelés avant d’être remis en vente après décongélation. Bien que cela ne présente pas un risque sanitaire majeur en soi, ce procédé va à l’encontre de la communication de l’entreprise qui garantit des produits « frais du jour ». Dans certaines boutiques éloignées de Bordeaux, les cannelés étaient même exclusivement décongelés. Cette pratique n’était jamais mentionnée ni en magasin ni sur les emballages, induisant ainsi les consommateurs en erreur.
Les enquêteurs ont également découvert que Baillardran omettait des informations essentielles concernant la traçabilité de ses produits et de ses ingrédients, renforçant l’accusation de pratiques commerciales trompeuses.
Des ingrédients de qualité douteuse
L’autre volet du scandale concerne la composition des produits. Baillardran, se vantant de l’utilisation d’ingrédients nobles et de qualité supérieure, a vu ses pratiques démasquées. L’enquête a mis au jour plusieurs modifications substantielles dans la recette des cannelés :
- Le lait utilisé dans la pâte était en réalité du lait en poudre, et non du lait frais comme annoncé.
- L’enseigne vantait l’utilisation de vanille bourbon de Madagascar, mais des tests ont révélé l’utilisation d’arôme industriel dans ses cannelés classiques. Pour les versions « pur vanille », il s’agissait principalement d’arôme de synthèse, avec une infime quantité de vanille non bio.
- Le rhum ambré/vieux utilisé pour parfumer les cannelés a été remplacé par du rhum blanc contenant du colorant.
- Enfin, le beurre, ingrédient clé dans la recette traditionnelle, a été purement et simplement supprimé.
Ces modifications des recettes n’étaient ni divulguées aux consommateurs ni compensées par une réduction des prix, bien que les produits soient vendus à des prix bien plus élevés que ceux de la concurrence. Les autorités estiment que ces pratiques ont permis à l’entreprise de réaliser des économies de 600 000 €.
Les conditions de travail déplorables
Au-delà des tromperies sur les produits, l’entreprise est également accusée de conditions de travail inacceptables. De nombreux témoignages de salariés actuels et anciens ont dénoncé des manquements graves en matière d’hygiène, mais aussi des abus de pouvoir et de harcèlement moral de la part de la direction.
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Hygiène douteuse : Selon plusieurs témoignages, la pâte à cannelé était stockée dans des conditions d’hygiène déplorables. La pâte était transportée dans des camions non réfrigérés et parfois stockée à température ambiante, parfois pendant des jours, exposée à la chaleur et à la contamination. Des rats ont été trouvés morts dans les laboratoires de production, et des mouches et des larves ont été retrouvées dans les seaux de pâte. Lorsque des employés ont signalé ces problèmes, la direction leur aurait ordonné de simplement enlever les contaminants visibles et d’utiliser la pâte malgré tout.
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Conditions de travail et surveillance excessive : Les salariés dénoncent une pression constante de la part de la direction, ainsi qu’une surveillance accrue via des caméras de sécurité. Les vendeuses étaient régulièrement surveillées pour des détails insignifiants comme la position de leur foulard ou le fait qu’elles s’assoient pendant leur pause. L’uniforme imposé, une robe rouge, devait être porté sans relâche, avec une seule robe par saison, ce qui entraînait des situations de travail inconfortables, notamment en été. Ces pratiques ont été dénoncées par les syndicats, qui ont alerté les autorités compétentes.
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Harcèlement moral et discriminations : Plusieurs anciens salariés ont évoqué des cas de harcèlement moral, avec des accès de colère violents de la part de la direction, allant jusqu’à des insultes publiques. Les témoignages révèlent également des comportements racistes et sexistes au sein de l’entreprise. Des remarques déplacées ont été faites à propos de l’apparence physique des employés, et des cas de discrimination à l’embauche ont été signalés, basés sur l’origine ethnique des candidats.
Une image ternie : l’avenir incertain de Baillardran
L’entreprise Baillardran, qui comptait parmi les fleurons de la gastronomie bordelaise, voit son image gravement ternie par ces révélations. Malgré un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2023, la marque est aujourd’hui confrontée à des conséquences qui pourraient affecter sa position sur le marché. En plus de l’amende de 100 000 € infligée par le tribunal, le procureur a requis la publication de la décision dans les médias, ce qui pourrait porter un coup dur à la réputation de l’entreprise.
En réponse à ces accusations, la direction a minimisé les faits, en particulier la grève de juin 2023, qualifiant le mouvement social de non significatif. Cependant, les syndicats et les salariés restent mobilisés, exigeant une remise en question de la gestion de l’entreprise et un véritable dialogue social.
La société Baillardran, qui a été présentée au roi Charles III lors de sa visite à Bordeaux en 2023, devra désormais faire face à une pression médiatique sans précédent et à des revendications juridiques qui pourraient s’étendre sur plusieurs fronts.